De l'universalité en franc-maçonnerie...
On s'initie soi-même
Les manuels d'instruction maçonnique à l'usage des apprentis maçons, soeurs ou frères ainsi que beaucoup de déclarations solennelles, proclament l'universalité de la franc-maçonnerie.
De sorte qu'on laisse envisager aux jeunes maçons que"l'initiation" (ne faudrait-il pas parler plutôt de "réception" ?) ouvre en véritable ésame les portes de tous les temples, de tous les espaces maçonniques.
Qu'en est-il ?
La pratique maçonnique est moins flamboyante. Plus on chemine en franc-maçonnerie, plus on approfondit les contenus des travaux accomplis, plus on prend conscience qu'il existe au moins deux grandes maçonneries qui ne correspondent pas aux mêmes idéaux, pas aux mêmes aspirations et qui ont des fondements essentiellement différents sinon carrément contradictoires.
Les Constitutions dites d'Anderson.
Les "Constitutions d'Anderson" constituent le livre de référence de la franc-maçonnerie. Peut-être serait-il d'ailleurs plus conforme au processus de sa réalisation de privilégier le nom du frère Jean-Théophile Désaguliers, pasteur protestant rochelais, obligé de fuir en Angleterre pour cause de révocation de l'édit de Nantes. Il devient l'ami de Newton dont il traduit les traités de physique (un exemplaire se trouve au musée de la franc-maçonnerie, rue Cadet) et entre à la Royal Society de Londres. Il est le véritable inspirateur de ce texte, rédigé effectivement par James Anderson.
Les Constitutions contiennent les Landmarks de la franc-maçonnerie des débuts du 18° siècle. Et ces anciennes charges définissent aussi plusieurs catégories de personnes ne pouvant pas accéder à la franc-maçonnerie, à savoir les handicapés, les serfs, les noirs et les femmes ! De sorte qu'il faut manier aujourd'hui cette référence avec d'infinies précautions, particulièrement dans une loge mixte !
L'obligation de croire en Dieu.
Ces Landmarks circonscrivent le territoire des potentiels francs-maçons aux seuls croyants. De sorte que dans l'Angleterre de l'époque, l'athéisme est absolument incompréhensible. Et, sortant de plus d'un siècle et demi de croyance obligée en un même dieu, la liberté de conscience signifie pour les anglais la possibilité de choisir son dieu mais absolument pas d'en avoir aucun. Ne parle-t-on pas du franc-maçon comme d'un homme libre et de bonnes moeurs, c'est-à-dire qui n'est "ni un athée stupide ni un libertin irreligieux".
Cette nécessaire croyance en un Dieu va évoluer en "principe créateur" mais conservera tout de même la notion de "parole révélée". Les loges régulières dans le monde allient GADLU (Grand Architecte de l'Univers) et VLS (Volume de la Loi Sacrée) dont l'invocation (GADLU) et l'ouverture à l'évangile de Jean (VLS) constituent deux marques incontournables de la Régularité des travaux.
De sorte que si le contenu de ce GADLU évolue au fil de l'histoire de ces trois derniers siècles, sa permanence est maintenue sous la forme d'une transcendance qui soumet l'Homme à ses principes.
L'interdiction de la présence des femmes.
Ces Landmarks interdisent la présence des femmes en Maçonnerie au même titre que les esclaves et les serfs car il faut être "libre", ce qu'ils ne sont pas.
Le poids des préjugés, des conditions sociales, des inégalités légitiment l'interdiction ! Ce qui est tout de même un comble pour une institution qui place l'émancipation humaine au premier rang de ses ambitions !
Cet "élitisme" n'a pas forcément évolué de la même manière dans le temps. On peut même y trouver la cause des scissions intervenues dans le paysage maçonnique. Il s'y cultive un goût certain pour le retour à une mythique pureté des origines...
Le convent du GODF de 1877.
C'est un convent historique où le GODF abandonne l'obligation de croire en Dieu et en l'immortalité de l'ame. Frédéric Desmons fut le rapporteur du "voeu n° 9" qui conduisit par son adoption à cette grande décision, lourde de conséquences. On peut parler de schisme puisque la Grande Loge Unie d'Angleterre et les obédiences qu'elle influence à l'époque n'auront de cesse de rompre leurs relations avec le GODF. C'est ce que l'on appellera la franc-maçonnerie "régulière" (Londres) et la franc-maçonnerie "libérale" (GODF).
Ces deux modèles maçonniques, on peut même parler de deux systèmes de valeurs et de principes, vont alors se structurer, s'approfondir, c'est-à-dire qu'ils vont en fait s'éloigner l'un de l'autre jusqu'à la négation par la GLUA de la qualité même de franc-maçon aux membres du GODF !
Persistance du schisme.
Négation-exclusion qui perdure aujourd'hui encore et qui est au coeur du prochain convent de la GLDF qui aura à choisir entre la rupture imposée par la déclaration de Bâle dans la perspective d'une reconnaissance par Londres ou le maintien de ses relations avec les obédiences "libérales".
Plusieurs articles ont traités ici des péripéties du processus de "RPMF" (Recomposition du Paysage Maçonnique Français), particulièrement dans le projet de Confédération (CMF) et du rôle joué par la GLDF qui y avait placé beaucoup d'espoirs. Las... Sur les 5 obédiences "confédérables", 2 ont renoncé, laissant la GLDF en tête à tête avec la GL-AMF et la GLIF, deux très récentes obédiences nées de la crise de la GLNF.
Conforter l'avenir...
Au delà de ces atermoiements, mais ils contribuent à la prise de conscience, il existe donc -et pour longtemps- deux maçonneries assez incompatibles quant aux valeurs qu'elles véhiculent. Le problème de la Grande Loge de France, certains y verront là son originalité, c'est qu'elle n'a pas réussi à choisir. Depuis la création de la GLNF (1913) elle est en quelque sorte bipolarisée et son histoire montre ses aller-retours de l'une à l'autre...
- La franc-maçonnerie régulière issue de la victoire des "Ancients" sur les "Moderns", qui s'est construite sur le respect absolu des Landmarks et qui admet en son sein le principe d'une labellisation de son fonctionnement par la Grande Loge Unie d'Angleterre (GLUA). Non seulement le fonctionnement de ces obédiences doit être "régulier" (respect des Landmarks) mais il doit être "reconnu" par Londres ! Cette "Reconnaissance de Régularité" -nous explique-t-on- constitue le viatique permettant à chacun de ses membres de circuler dans le monde et de pouvoir y être reconnu par les autres obédiences tout autant "reconnues régulières". Cette "chaîne fraternelle"qui n'est pas sans rappeler feu l'empire britannique, a quelque chose du charme discret de la City...
- La franc-maçonnerie libérale, la maçonnerie du siècle des Lumières, s'appuie sur l'Homme "mesure de toute chose". Etre doué de Raison, il peut dès lors s'émanciper de l'état de tutelle dans lequel le maintiennent le principe même de vérité révélée, les superstitions, l'ignorance. Encore faut-il qu'il le décide : "Sapere Aude. Aie le courage de te servir de ton entendement. Telle est la devise des Lumières". Faisant appel à sa propre capacité d'apprendre pour comprendre, cet Homme nouveau correspond à l'idéal humaniste de la franc-maçonnerie libérale. Cette maçonnerie réunit aujourd'hui la plupart des obédiences françaises (GODF, DH, GLFF, LNF, GLTSO, GLF-MM, OITAR, GLMU, GLMF , et pour quelques temps encore (?) la GLDF).
... c'est choisir.
Alors les termes du débat sont clairement posés. Il semble qu'il n'y ait pas de possibilité de synthèse. Serait-elle même souhaitable ? A lire et à entendre les uns et les autres, c'est nettement non !
Je n'ai pas toujours, quant à moi, été convaincu de cette thèse. "Réunir ce qui est épars" restait la fidélité qu'il me semblait que je devais au serment prêté voici maintenant plus de 32 ans. Mais la réalité des objectifs poursuivis par les obédiences présente parfois de telles différences, de telles oppositions qu'il est difficile de faire comme s'il ne s'agissait que de "spécificités" aisément dépassables par la "Tolérance". Il n'en est rien.
Sur ces deux points que sont la croyance en Dieu (ou en une transcendance) et le refus de l'initiation féminine, les deux maçonneries présentent des choix irréconciliables. Elles ont aussi consacré des rites qui accompagnent ces choix, mais c'est un autre sujet...
Reste enfin l'interdiction d'évoquer les sujets de nature religieuse ou politique dans les travaux maçonniques, interdiction qui marque bien la frontière entre l'une et l'autre. Cette interdiction est basée sur le fait que ces sujets sont sources de discorde ! Certes, c'est un euphémisme. Mais, n'est-ce pas précisément pour cela qu'il faut profiter de la méthode de travail maçonnique pour chercher comment dépasser ce type de difficulté ?
La franc-maçonnerie, aujourd'hui, n'est pas universelle et il semble bien que ce ne soit pas si grave !
C'est, ici comme ailleurs, à l'Homme, mesure de toute chose, au franc-maçon, Soeur ou Frère, de se forger sa propre conviction...
Gérard Contremoulin
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