L'histoire de la franc-maçonnerie, de nos souhaits aux faits.
Jean-Laurent Turbet avait déjà organisé un "échange" avec Michel Singer au tout début de la RPMF... Il poursuit en quelque sorte sur l'histoire en publiant un article où Louis Trébuchet prend la peine de construire une réponse à mon article. Je mesure le grand honneur qu'il me fait et je l'en remercie très sincèrement.
Partagé sur plusieurs pages et groupes Facebook, cet article a suscité de nombreux commentaires malheureusement dispersés. Ils constituent néanmoins un ensemble argumentaire utile pour la réflexion.
En voici une sélection qui apporte me semble-t-il des éclairages et des compléments, parfois des contestations sur un sujet qui est, de toute évidence, l'objet d'un désaccord profond entre le GODF et la GLDF. Est-ce rédhibitoire ? Est-ce dans "nos ADN" de ne pouvoir jamais nous entendre sur l'histoire ?
Dans sa conclusion au 1° Forum des obédiences libérales et adogmatiques européennes, Daniel Keller, Grand-Maître du GODF, a souhaité remettre au gout du jour les "disputes intellectuelles". En voici un bon thème.
Christophe, tout en rendant ici un hommage respectueux à Louis Trébuchet, fait remarquer que sa réponse procède d'une thèse :
Nous venons d'avoir eu droit à la réponse de notre ami Louis Trebuchet dans le "Bloc-note" à cette note-ci.
Que d'honneur :-)
J'ai lu ce premier volume: il a l'avantage d'être assez court et d'être accompagné d'une volumineuse documentation.
C'est pour moi un livre à thèse d'une personne engagée, qui défend un point de vue: celui, non pas d'une double origine de la maçonnerie française, le "stuardiste" et la "moderniste", sur laquelle, bien que fort réductrice, on pourrait acquiescer.
Non, il défend une thèse encore plus réductrice: celle d'un double courant qui ne se serait pas ou peu mélangé au XVIIIème, permettant cette filiation de la GLF d'antan à la GLF d'aujourd'hui ... Et s'il cite des maçonneries non françaises c'est uniquement pour ramener à sa thèse des éléments, qui sont parfois bien tronqués. J'ose le dire malgré le respect que je lui porte.
Or la richesse de la FM française est précisément d'avoir mélangé ces courants et d'autres, d'avoir construit pour créer une dynamique qui se diffusera dans toute l'Europe continentale, au-delà de l'atlantique, et même dans les Îles britanniques, créant une dialectique véritablement internationale.
Ce que je reproche à certains "historiens" français, c'est de rester dans leurs querelles franco-françaises et d'oublier cette dynamique européenne qui a forgé la maçonnerie au XVIIIème. C'est en cela que se trouve "le génie" d'historiens comme Roger Dachez, Cécile Revauger, Alain Bernheim, Pierre Mollier, Pierre-Yves Beaurepaire et j'en oublie: ils replacent la maçonnerie française dans l'Europe et plus loin encore, et montrent cette richesse que nous avons tous en partage.
A sa manière, Jean-Louis abou, sur le Bloc-note de Jean-Laurent, revient lui aussi sur la méthode :
Excellent article très documenté dans lequel malgré la qualité et l'érudition évidente de l'auteur, on ne peut au final que donner raison à l'article de G. Contremoulin. Au regard de documents postérieurs aux dates on extrapole et on tire des conclusions qui ne sont attestées que dans l'écrit. ça me rappelle un peu (toutes proportions gardées) une attitude bien connue. On forge des certitudes deux siècles après l'existence supposée (aucun document d'époque ne l'atteste) d'un être divin et on vend ça comme un dogme. Pardon, mais je ne suis pas convaincu. Déductions et hypothèses ne représentent pas - à mes yeux - des "preuves". En toute fraternité. Jean-Louis ABOU
Jean-Dominique Reffait, sur Facebook (page du groupe "Sous la Voûte étoilée), parle d'erreur, qu'il explicite :
Il n'y a donc aucune filiation rituelle entre les loges de la GL dite de Clermont et la GLDF d'aujourd'hui. La GLDF d'aujourd'hui provient du courant écossais, indépendant des obédiences nationales, souché sur les loges mères écossaises indépendantes, très minoritaires et très localisées en France au 18ème.
D'autre part, comment nier qu'il n'existe pas en France en 1728, date de la création de la Grande Loge de France, d'autre rite que le rite anglais traduit ? Aucune trace d'écossisme, évidemment, nous en sommes loin encore. Il n'y a donc ni filiation initiatique directe ni philosophique. C'est quand même surprenant d'entretenir une telle confusion !
Et Jean-Laurent revient sur l'article de Louis Trébuchet et implicitement épouse la thèse développée :
Je ne suis pas d'accord. Les arguments de Louis Trébuchet sont parfaitement clairs ! Et je vous invite à lire ses livres (avec une très abondante documentation - plus de 1000 pages pour chaque volume). Chaque phrase est argumentée. Oui il existe bien deux (voire 3) ruisseaux différents qui ont mené au même fleuve. La maçonnerie écossaise et irlandaise (donc des Anciens) est distincte de la maçonnerie anglaise andersonnienne (qui a donné le rite français). Et la création de la maçonnerie obédientielle en 1717 (l'invention de la Maçonnerie dont parle Roger Dachez) ne veut pas dire que des courants ne prééxistaient pas (la maçonnerie écossaise sous les stauts Schaw depuis 1598... On a tous les documents de "Mary's Chapel" à Edimburg depuis cette date et pour bien d'autres loges c'est pareil). D'où la création de la Grande Loge des Anciens en 1751. D'ailleurs rapidement la Grande Loge d'Ecosse comme la Grande Loge d'Irlande ne reconnaitront que la GL des Anciens (dès 1756) et plus du tout la GL des Modernes dont les "iinnovations" étaient par trop contraires aux usages traditionnels. Maintenant tout est parfaitement établi...
J'avais déjà entendu l'argument péremptoire de cette dernière phrase dans la bouche de Claude Collin du Suprème Conseil... Mais, est-ce vraiment aussi "établi" que cela ?
La "dispute" est lancée.
Plus exactement elle peut se poursuivre si nous avons la volonté de ne pas voiler les désaccords mais bien au contraire de les identifier pour ce qu'ils sont : des points de départs pour un approfondissement de la recherche. Nous savons que la matière est complexe et qu'elle favorise d'autant plus les interpretations opportunistes chez les uns comme chez les autres. Raison de plus pour nous donner les moyens de les dépasser...
Ainsi pourrions nous peut-être éviter de ne se sentir à l'aise qu'accompagné "d'historien à soi" pour paraphraser Marc Henry dans son différend avec Roger Dachez et deux loges rouennaises qui souhaitaient inviter ce dernier.
Poursuivre.
Dans le premier échange, Michel Singer commençait en disant qu'il ne voulait pas se lancer dans une controverse style Valladolid. En effet qui de nous deux aurait joué Sépulvéda et Las Casas...
La discussion fut néanmoins serrée mais très instructive et nous avons depuis noué des liens d'amitié...
Là, il existe maintenant des historiens qui consacrent une partie de leurs travaux à l'histoire de la franc-maçonnerie. Leurs travaux sont disponibles. Sachons les mettre à profit pour reconstituer les éléments du puzzle lorsqu'ils sont bien authentifiés et pour le reste, à dissiper les zones d'ombres.
A suivre.
Gérard Contremoulin
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