L'héritage obédientiel de 1717 et les blogs...
"Ah que nos pères étaient heureux (bis)
Quand ils étaient à table..."
Nos ancêtres anglais, fondateurs de la première obédience maçonnique la "Grande Loge de Londres et de Westminster", choisirent l'auberge "Goose and Gridiron", le 24 juin 1717. S'ils élisent domicile dans un tel lieu, c'est non seulement parce qu'il n'en existe pas d'autres pour accueillir leurs travaux mais parce qu'ils sont avant tout soucieux de convivalité. Nulle trace à cette époque de travaux symboliques ou de recherches spiritualistes liés à une quelconque régularité... La principale décision qu'ils prennent dans cette salle qui ne pouvait accueillir tout au plus qu'une petite trentaine de personnes, fut de fixer la date de la rencontre suivante, un an plus tard ! Cette annualité est celle qui prévaut encore aujourd'hui entre deux assemblées générales (convents)...
A...
Les délégués de ces 4 loges qui jetaient là les bases de la première fédération maçonnique auraient-ils seulement imaginé que l'on pût douter un jour du bien fondé de leur initiative ? Pouvaient-ils même penser qu'une telle fédération conçue pour réunir les bonnes volontés pût générer des conflits de personnes conduisant à se déchirer publiquement ?
J'aime à penser que non. Car le pire n'est jamais certain...
... au milieu, déjà, d'une crise entre frères et entre obédiences.
Car nos ancêtres s'affrontèrent autour de deux manières de maçonner : la querelle des "Ancients" (les plus récents) et des "Moderns" (les plus anciens). Elle dura presque 63 ans et se conclut par la victoire des "Ancients" et la fusion des deux courants qui donnait naissance le 27 décembre 1813 à la United Grand Lodge of England (UGLE) ou selon la traduction française de l'acronyme : la Grande Loge Unie d'Angleterre (GLUA).
Il faut se rappeler, même si cela cause des désagréments moraux à quelques maçonnes et maçons en quête d'historicité réécrites, qu'existait déjà, dans sa forme ancienne (depuis 1728) puis dans sa forme moderne (1773) une obédience française, le Grand Orient de France et son rite, le Rite Français, c'est-à-dire le rite des Moderns ! J'entends les hocquettements... Que celles et ceux qui en souffriraient respirent, profondément, ça passe plus vite !
Ce fait historique est très probablement l'une des raisons majeures qui m'ont toujours conduit à défendre le "fait odédientiel" comme vecteur incontournable et indispensable pour assurer la pérennité de l'action de la maçonnerie dans le temps et dans l'espace.
D'ailleurs, au cours de ces étapes et de celles qui suivirent , les maçons confièrent leur évolution aux bons soins d'obédiences... Ils leur confièrent même tout une partie de leurs préoccupations, notamment les affaires administratives et les affaires internationales, pour se consacrer aux travaux spécifiques des loges. Et au fil de ces trois siècles, l'existence de quelques obédiences ont permis que se pérennisent un patrimoine de valeurs, de contenus initiatiques et d'identités collectives.
Mais aujourd'hui, la multiplication, ô combien, des obédiences apparaît plus comme un morcellement que comme une richesse. Elle offre tant au regard profane qu'à celui des initiés, un panorama maçonnique où la multiplicité des acronymes fait obstacle à l'universalité autoproclamée de la franc-maçonnerie...
La vie maçonnique et les blogs.
L'existence depuis une douzaine d'années des réseaux de la blogosphère a installé sinon une nouvelle manière de maçonner, du moins . Le fondateur du premier blog, Jiri Pragmann, a ouvert une voie réellement nouvelle. Elle permet non pas une nouvelle forme de travail maçonnique, lequel ne peut se faire qu'en loge, mais une nouvelle manière d'évoquer, de parler de la franc-maçonnerie.
Ce n'est pas sans souci.
Parler de franc-maçonnerie en dehors des loges pose le problème du respect du "secret maçonnique". J'avais traité de cette question dans un article publié dans le numéro 3 de la revue Critica Masonica.
Les crises obédientielles récentes
Sous la voûte étoilée, blog créé le 8 septembre 2010, s'est fixé une règle à ce sujet. Les crises internes aux différentes obédiences ne le concerne pas et il n'en traite donc pas. En revanche, lorsqu'une obédience, qu'elle soit en crise interne ou non, menace les relations interobédientielles par des projets qui sortent du seul cadre de leur vie interne, le blog non seulement en traite mais peut s'engager dans le débat qui se développe autour de la question.
C'est ainsi que SLVE n'a pas écrit une seule ligne sur la crise interne qui a douloureusement affectée la GLNF. Et c'est ainsi que SLVE a amplement écrit sur les projets de RPMF et de CMF qui prétendaient obliger la GLDF à "rompre sans ambiguité toutes relations avec les obédiences irrégulières" (Appel de Bâle de juin 2012). Cet engagement passait notamment par le fait de relayer des prises de positions de loges de cette obédience.
Se faire l'écho des initiatives des obédiences ?
En "régime de croisière", il semble utile de donner de l'écho à leurs initiatives externes, à ce que nous appelons l'extériorisation. Il est de l'intérêt général de la maçonnerie que l'on parle d'elle autrement que les quelques "marocains" hebdomadaires en mal de papier sulfureux pour augmenter leurs ventes...
Et c'est pourquoi SLVE a relayé les déclarations du Grand-Maître de la GLDF, Philippe Charuel, exposant la volonté de l'obédience de reprendre le cours habituel des relations interobédientielles. De même, il a relayé sa volonté de proposer à son convent d'ouvrir certains des travaux de son obédience aux Soeurs, par exemple lors des Tenues Funèbres.
Mais c'est aussi le fait de relayer sur la page Facebook du groupe éponyme l'analyse critique de Catherine Kintzler à propos de l'initiative conjointe des GLDF et GLFF et du ministère de l'Education Nationale. C'est en effet une lourde faute par rapport à la Laïcité que de coorganiser avec un ministère une initiative maçonnique. C'est aussi une faute identique de la part dudit ministère d'avoir accepté ! Ce qui en dit long sur le travail qui reste à accomplir pour expliciter le contenu et la signification de la Laïcité ! Que n'aurait-on pas trouver à redire - et légitimement - s'il s'était agi d'une religion ou de tout autre société de pensée...
SLVE serait heureux d'en savoir davantage, officiellement, sur les raisons de cette bien peu banale initiative...
Les blogs et la liberté d'expression...
Les blogs prennent de plus en plus leur part dans l'expression maçonnique. Il faut être attentif à une grande différence de nature entre le travail en loge et l'exercice bloguiste. Alors que le travail en loge est un effort personnel qui se confronte à la réalité collective de la loge avec la garantie que les détails de ce qui se dit en loge (qui dit quoi) restera secret, la nature du blog est rarement collective mais presque essentiellement individuelle. De sorte qu'un écart peut toujours se creuser entre la perception ou le vécu de telle soeur ou de tel frère et le cadre obédientiel.
Le fait obédientiel, c'est-à-dire l'adhésion à ce que représente le fait de vivre et de faire vivre la franc-maçonnerie à partir de la loge ET de sa fédération, est vécu aujourd'hui par certains comme une contrainte, une irruption bureaucratique (donc profane) dans leur processus initiatique. Lorsque le CLIPSAS recense 204 obédiences en France, il confirme ce qu'il faut bien appeler une dérive, une dispersion. Mais, paradoxe des paradoxes, on voit dans le même temps la progression des grandes obédiences !
La blogosphère et les réseaux sociaux qui traitent de maçonnerie braquent le projecteur et mettent en lumière sur cet écart entre déroulement du fait obédientiel (les initiatives et la vie des obédiences) et sa contestation, avec le double effet paradoxal de loupe et de zapping propre aux réseaux sociaux.
Cet écart peut conduire à des positions de principe contre les obédiences, à conduire à prendre ses distances avec l'obédience à laquelle on appartient, voire à favoriser la création de loges dites "libres" de toute attache obédientielle .
Il y a là tout l'espace d'un débat. Bien entendu, la liberté d'expression doit être garantie. Pour un blogueur, dont la responsabilité individuelle est seule engagée, c'est dans le cadre de la loi qu'il va exercer la totalité de cette liberté. Ce blogueur peut aussi être membre d'une obédience et donc soumis aux règles habituelles de son fonctionnement. Mais c'est en tant que membre qu'il y est soumis, non en tant que blogueur.
Lorsqu'il va publier, c'est en conscience qu'il prendra la décision de publier ou pas tel ou tel contenu. Cet "examen de conscience" est propre à toute personne faisant acte de publication. L'histoire regorge d'exemples...
Alors, quelques questions...
Enfin, être blogueur et franc-maçon doit conduire selon moi à quelques réflexions que je vais essayer d'exposer à partir de quelques questions.
Doit-on publier les détails des difficultés que l'on rencontre avec une obédience ?
Pourquoi pas ?
Mais il me semble indispensable de respecter quelques principes.
En tant que membre d'une obédience, la question est celle de ma propre attitude et de mon propre respect des règles librement acceptées lors de mon entrée. Elle est essentiellement personnelle et, à tout le moins, centrée sur la vie interne. Seuls les membres devraient en connaître.
En tant que blogueur, décider de publier les détails d'une situation conflictuelle même, et peut-être avant tout, lorsqu'elle est personnelle devrait conduire à exposer l'ensemble des détails de cette situation et à rendre cet exposé contradictoire ? C'est-à-dire qu'il me semble indispensable de donner la parole à la partie adverse. L'exposé contradictoire des faits est en effet la base de la justice républicaine.
On remarquera que durant les années du processus avorté de la RPMF à la GLDF, c'est toujours à partir de textes ou de déclarations soit du Grand-Maître soit de dignitaires, que les blogueurs élaboraient leurs articles... Et chaque fois qu'il y eut des réponses de leur part, elles furent publiées, du moins sur SLVE.
Que peut-on attendre d'une telle publication ?
A moins d'avoir un gout particulier pour l'exhibitionnisme, ou la volonté de nuire à une cible (tel dignitaire, telle loge, telle obédience,...) que l'on fustige, je ne vois vraiment pas ce que l'on peut en attendre.
Quoiqu'il en soit, le blog ne me semble pas devoir être un voile, plus ou moins pudique, pour porter une offensive, ni le vecteur qui permet de porter une attaque ad hominem. Et, facteur agravant, d'une manière "anonymée"... C'est pourquoi je ne goute que très modérément (litote !) l'utilisation du peudonyme. Mais, cela, vous le savez...
Il peut y en avoir d'autres... Je compte sur vous !
Gérard Contremoulin
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