L'exposition indispensable...
Cette exposition devait exister ! Au delà des maronniers d'une presse toujours en quête de tirages, il fallait un évènement sur la Franc-Maçonnerie qui fasse référence, une initiative qui fasse date.
Et qui mieux que la Bibliothèque Nationale de France pouvait avoir l'autorité scientifique pour convaincre de réunir autour de ses propres collections celles des obédiences dont l'histoire a permis de constituer un tel patrimoine... L'idée même de cette exposition était un enjeu.
C'est chose faite. Précipitez vous pour la visiter. Elle est en place jusqu'au 24 juillet...
Cinq salles et un espace vidéo présentent des pièces rares, des documents essentiels pour approcher au plus près cette société qui nourrit d'autant plus les fantasmes que certaines de ses composantes se replient dans le culte d'un secret factice. En effet, depuis l'édition de "The masonry dissected" de Pritchard en 1730 puis avec la première divulgation des premiers rituels, on connaît par le menu les détails des cérémonies maçonniques. Et il suffit d'aller faire un tour dans une bonne librairie pour en connaître tout autant de la maçonnerie d'aujourd'hui.
Or l'essentiel n'est pas dans la "révélation" de je ne sais quel secret mais dans la pratique d'une méthode. Et cette pratique maçonnique s'est développée durant trois siècles en épousant plusieurs voies, tout aussi importantes, tout aussi initiatiques.
Régulière ou Libérale adogmatique.
Cette exposition nous donne à réfléchir sur les rapports entre la franc-maçonnerie et la société. Rapports complexes où deux grandes familles se découvrent, la maçonnerie "Régulière" qui s'interdit toute discussion religieuse et politique et rend obligatoire la croyance en Dieu et la maçonnerie "Libérale, adogmatique" qui ne s'interdit aucune discussion et pratique la Liberté Absolue de Conscience.
L'une se retrouve autour de la Grande Loge Unie d'Angleterre (GLUA) et sa représentante en France, la Grande Loge Nationale Française (GLNF) et l'autre dans le Grand Orient de France (GODF) et les obédiences telles que la Fédération Française du Droit Humain (FFDH), la Grande Loge Féminine de France (GLFF), la Grande Loge Mixte Universelle (GLMU), la Grande Loge Mixte de France (GLMF).
Un certain nombre d'autres obédiences ont un statut spécifique et développent un projet maçonnique et/ou initiatique particulier comme la GLDF (Grande Loge de France), la Grande Loge Traditionnel et Symbolique Opéra (GLTSO), la LNF (Loge Nationale Française), la Grande Loge des Cultures et de la Spiritualité (GLCS).
L'histoire a généré plusieurs manières de "maçonner", c'est-à-dire plusieurs Rites.
Alexandre-Louis Roettiers de Montaleau et la Chambre des Grades du Grand Orient de France mettra de l'ordre dans un foisonnement luxuriant d'appellations, de contenus, de titres que voit fleurir le XVIII° siècle... Ce formidable travail sera achevé en 1785 et publié en 1801 sous le titre de "Régulateur du Maçon".
Revenons à l'Exposition. Elle s'ouvre sur une annonce ... apéritive, s'il en est :
Les origines.
L'évocation des origines de la franc-maçonnerie met en cause deux thèses dont Roger Dachez rend bien compte dans son ouvrage "L'invention de la Franc-Maçonnerie".
La première fait des contructeurs de cathédrales les premiers francs-maçons, qualifiés de maçons "opératifs". C'est la thèse de la transition. A partir d'eux, la franc-maçonnerie se serait progressivement transformée en admettant des membres non opératifs, et au fil de ces admissions, serait progressivement devenue uniquement "spéculative"... Cette belle histoire retrace en fait plutôt l'histoire des mythes empruntés par la franc-maçonnerie que la franc-maçonnerie elle-même. Récit qui a beaucoup séduit mais peu compatible avec l'exigence de la démonstration historique.
La seconde ne reconnait comme origines que celles dont témoignent les documents existants. Elle considère ainsi la date du 24 juin 1717 comme origine de la franc-maçonnerie dite "spéculative". C'est la thèse de la rupture.
En guise de synthèse, on peut remarquer que certains auteurs et beaucoup de maçons parlent de maçonnerie "moderne" à propos de cette dernière, semblant ainsi justifier l'existence d'une "ancienne", c'est-à-dire celle "d'avant". Vieille et habituelle querelle en maçonnerie où l'ancien s'auto-qualifie ainsi pour mieux se démarquer et disqualifier son prédécesseur, qu'il qualifie de "moderne"...
L'exposition, tout en épousant plutôt la logique de la première thèse, rend compte de la complexité d'une histoire dans laquelle se mêlent des faits historiquement documentés et des mythes et des légendes, des récits et des personnages dont il faut néanmoins tirer le réel du mythe. Elle déploit donc des documents très riches qui évoquent des moments essentiels de notre histoire, pas nécessairement pour autant constitutifs de la franc-maçonnerie.
Il est essentiel de comprendre, particulièrement au moment où se prépare le tricentenaire de 1717, que tout ce qui précède la création le 24 juin 1717 de la première obédience dans l'histoire, "la Grande Loge de Londres et de Westminster", sont davantage du domaine des emprunts plus ou moins mythifiés que de faits réellement documentés...
Il ne s'agit pas ici d'en minimiser la portée mais plutôt de profiter de la réunion de ces pièces pour souligner la nécessité de les contextualier et de tenter de comprendre au milieu de cette complexité comment une telle société a pu prendre cet essor au XVIII° siècle et accompagner ainsi le mouvement des Lumières...
La Franc Maçonnerie et la République.
Si la Révolution voit se mettre en oeuvre certaines idées des Lumières, la Terreur décimera les rangs de la franc-maçonnerie et fera passer au second plan la Liberté de Penser... Le passage à l'échafaud d'Olympe de Gouges et d'autres inspiratrices telles que Manon Roland, Pauline Léon, Anne-Joseph Théroigne de Méricourt (qui ramènera "le boulanger, la boulangère et le petit mitron") ou encore Charlotte Corday.... viennent en témoigner.
C'est avec la 3° République que les liens vont s'affermir et permettre à la République de se doter de grandes lois dont certaines structurent encore la vie sociale contemporaine.
La franc-maçonnerie et la répression.
La question est souvent posée de la différence de comportement des francs-maçons par rapport au secret, à la discrétion ou à l'extériorisation de leur qualité maçonnique. Un maçon américain se dévoilera beaucoup plus facilement qu'un français, un allemand, un espagnol ou un italien.
Les pays qui ont été envahis ou qui ont connu des pouvoirs totalitaires ont vu s'abattre sur les francs-maçons une répression anti-maçonnique féroce. Ces périodes ont façonné des habitudes et des comportements de discrétion voire de secret de la part des francs-maçons dans leurs pratiques maçonniques.
Des maçons en déportation...
La répression nazie passe par les camps. Malgré les persécutions du camp de concentration d'Esterwegen, des francs-maçons belges avaient néanmoins créé une loge maçonnique, la Respectable Loge "Liberté Chérie". Ce camp détenait des prisonniers classés "NN" (Nacht und Nebel, Nuit et Brouillard), appelés à disparaître dans la nuit et le brouillard... Dans cet article, Franz Bridoux, seul survivant, témoigne...
L'exposition produit le "livre d'achitecture" de la Loge où l'on peut prendre connaissance de "la planche tracé" du Frère Secrétaire, c'est-à-dire la compte rendu des travaux d'une "Tenue" !
La Franc-Maçonnerie est aussi un vaste ouverture sur le monde des arts, de la culture et des pratiques culturelles.
Mozart et la franc-maçonnerie.
Une voûte étoilée couvre l'espace consacré à Mozart et à son opéra maçonnique "Die Zauber Flöte" ("La Flute Enchantée"). Dans cet envirennement particulièrement réussi et évocateur, vous découvrirez la partition originale...
Vient ensuite un espace audiovisuel qui rassemble les Grands-Maîtres, chacun traitant de l'un de ces sujets sous forme d'interview :
- Maçonnerie et Religion
- Devenir Franc-Maçon
- L'engagement maçonnique
- Le secret
- Complot et Réseau
- Auguste Bartholdi
La belle histoire de la Marianne de Jacques France (Paul Lecreux).
la Marianne de Jacques France présentée par Pierre Mollier
La portion-congrue, les oublis, les absents...
La Liberté Absolue de Conscience.
On peut regretter la modestie de la place accordée à Frédéric Desmons.
Ce pasteur protestant qui a choisi d'abandonner sa charge de pasteur au moment où il briguait un mandat de parlementaire a honoré la maçonnerie d'un grand sens moral et éthique. Délégué de sa loge "Le Progrès" à l'Orient de Saint-Géniès de Malgoirès, il a joué un rôle non négligeable avec courage.
Ainsi fut-il le rapporteur du voeu n° 9 au convent de 1877 supprimant "l'obligation de croire en Dieu". Ainsi fut-il rapporteur de deux autres voeux, moins chanceux mais tout aussi importants : en 1869 en proposant d'initier les femmes au GODF et en 1871 en proposant l'amnistie des communards. Enfin, compte tenu de sa présence au Conseil de l'Ordre à partir de 1873 puis comme Grand-Maître à 5 reprises entre 1887 et 1910. (Voir "Les Grands Maîtres du GODF du XVIII° à nos jours", Conform édition, Paris, juin 2016, 10€).
La maçonnerie mixte.
Georges Martin et Maria Deraismes créèrent l'Ordre Mixte International le Droit Humain. Peu de traces dans les vitrines de l'exposition alors que le Droit Humain est la première obédience à avoir institué le principe de la mixité en franc-maçonnerie en 1893. Quinze ans après le schisme entre la GLUA et le GODF, c'est leur volonté de rassembler hommes et femmes désireux de "travailler au Progrès de l'Humanité" qui va faire éclore leur initiative.
Merci au facebookien Eric Smith pour cette biographie de Maria Deraismes :
La maçonnerie féminine.
Portion congrue s'il en est... Etonnant.
Pourtant, la place de la maçonnerie féminine dépasse largement les effectifs qu'on lui accorde, entre 25.000 et 30.000 membres en France. La Grande Loge Féminine de France, (GLFF) pour ne citer qu'elle, accomplie un travail important pour développer hors de France et notamment en Europe (ex PECO), dans la péninsule ibérique, en Amérique latine... Et les Soeurs qui s'investissent dans ce travail souvent obscur, le font le plus souvent à leurs frais... Certes, c'est la règle en franc-maçonnerie mais il n'est pas inutile de le rappeler, justement lorsque l'on constate un certain manque d'intérêt...
Pourquoi ne pas mentionner la nature réelle de cette photo ?
Il ne s'agit pas seulement de "femmes en tenue maçonnique" mais trés précisément du Conseil Fédéral de la Grande Loge Féminine de France, l'exécutif de la GLFF !
Les Soeurs de cette obédience auraient probablement apprécié cette précision...
On notera, avec le souci de se moquer de soi, que la modeste vitrine consacrée à la maçonnerie féminine est située juste au dos de celle consacrée à 1877 ! Et, signe de l'Esprit du Temps, pour aller de l'une à l'autre la Marianne de Jacques France nous guide...
Louise Michel enfin.
Elle sera la grande absente de cette néanmoins indispensable exposition. C'est vraiment dommage de ne pas avoir choisi de rendre hommage à cette maçonne, communarde de la première heure à la dernière heure, une révolutionnaire qui mit toujours en avant ses convictions au service des autres, ses frères en humanité, ses compagnons d'infortune. Un hommage à la franc-maçonnerie engagée dans la société, un signal qui aurait pu être adressé à celles et ceux qui envisagent de "frapper à la porte du Temple" dans la perspective tracée par le GODF "d'améliorer à la fois l'Homme et la Société" !
Difficile de terminer sans un dernier étonnement. La Franc-Maçonnerie n'est pas solement l'histoire de trois siècles d'une présence originale dans un monde en complet changement, passant de l'Ancien Régime à la philosophie des Lumières.
"Sapere Aude" ou comme le traduit Kant, "Aie le courage de te servir de ton propre entendement" est une philosophie qui lègue un testament d'émancipation. Si la maçonnerie peut avoir un message universel, c'est bien celui qu'elle adresse au Monde et à toutes celles et à tous ceux qui le compose : Devenir soi-même, s'émanciper est d'abord la problématique de chacun !
La philosophie des Lumières est d'abord un message révolutionnaire. Comment la Franc-Maçonnerie née et s'étant développée dans un tel contexte pourrait rester une société confidentielle, renfermée sur elle-même et ne se souciant que de du devenir de ses membres ?
Prospective, la franc-maçonnerie ne peut-être que prospective. Prospective et sociétale !
L'exode des migrants, le djihadisme, la montée des extrêmes droites en Europe, le déficit démocratique, les nouveaux espaces de citoyenneté, toutes ces questions interpellent les francs-maçons par rapport à leur objectif "d'améliorrer à la fois l'Homme et la Société".
Ne travaillent-ils pas "à l'amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l'Humanité" ?
Donnerions-nous raison, par notre silence, à Jiho ?
Gérard Contremoulin
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