Restons calmes.
Une polémique s'est engagée sur les réseaux sociaux à propos du 1° mai des francs-maçons et l'hommage rendu aux martyrs de La Commune à l'invitation du Grand Orient de France.
Cette polémique repose sur deux moyens, le thème du discours du Grand Maître Philippe Foussier et le bien fondé de cet hommage compte tenu de l'attitude du GM du GODF en 1871, Léonide Babaud-Laribière, proche d'Adolphe Thiers, clairement anti communarde.
Sur le premier moyen.
Le discours du Grand-Maître Philippe Foussier, dont le contenu évitait toute langue de bois, allait au contraire à l'essentiel du propos, la défense de la Laïcité dans le contexte des déclarations du Président de la République. Il peut ne pas être apprécié. C'est le droit de tout franc-maçon. Notamment de ceux qui se fixent comme règle de ne jamais évoquer de sujet politique ou religieux, telle la Grande Loge de France.
Mais il n'en ressort pas moins que le Grand-Maître Philippe Foussier est parfaitement légitime à tenir son propos. D'autant plus qu'il reprend les grandes lignes de forces des combats de l'obédience.
Sur le second moyen.
Il s'agit de la comparaison entre deux périodes de l'histoire du Grand Orient de France, de toute évidence contradictoires. En 1871, le GODF est majoritairement contre La Commune et depuis 1973, il invite à célébrer la mémoire des Communards. La polémique consiste à s'appuyer sur la première pour s'étonner que l'on puisse tenir la seconde.
Elle traduit une certaine tension dans les relations interobédientielles. Tension certes sous-jacente depuis l'appel de Bâle mais dont la résurgence à cette occasion est préoccupante. Les réseaux sociaux, qui s'en font l'écho, accueillent des échanges qui prennent un tour particulier avec la part active qu'y prennent certaines personnalités maçonniques de premier plan.
Comme toute polémique, celle-ci prend corps dan un contexte plus large, celui de l'identité des obédiences maçonniques et, partant, sur une dispute bien ancienne de qui est ou n'est pas "maçon". Rien que cela !
S'autoriser ou s'interdire les débats politiques et religieux.
C'est la question centrale de la franc-maçonnerie française. Une différence majeure existe entre les obédiences à partir des différentes réponses données.
Connaître son histoire.
Les maçons ne pratiquent pas volontiers cet exercice. Il livre pourtant des pépites qui permettent d'éviter les pièges de la non contextualisation des faits.
La maçonnerie qui s'installe en France à partir de 1723 et qui 50 ans plus tard prendra le nom de Grand Orient de France (réforme de Montmorency-Luxembourg), est d'abord une société de convivialité qui se développe sur la base de la maçonnerie des "Moderns" et en premier lieu sur la pratique de la Liberté de Conscience. Elle arrive sur le Vieux Continent dans les bagages des exilés politiques stuartistes fuyant le nouveau pouvoir. Difficile de penser qu'ils choisissent alors de ne pas parler de ce qui les rassemblent : l'exil politique.
Ainsi, en lien avec cette polémique, on ne peut que s'étonner des cris d'orfraie poussés par certains maçons qui ne supportent pas que l'on puisse maçonner autrement qu'ils ne le font eux-mêmes, alors qu'ils n'ont apparemment pas entendu la déclaration faite au nom de la Grande Loge de France par Marc Pélissier, ancien conseiller fédéral. S'ils le souhaitent, ils pourront-ils se rattraper en la lisant ici .
Reconnaître et assumer son passé.
Il est tout à fait exact qu'en 1871, le Conseil de l'ordre du GODF, le Grand-Maître et une majorité de loges étaient contre La Commune de Paris et le faisait savoir par voie de circulaire, le 1° août 1871, où il est notamment écrit :
" Il n'y a aucune solidarité possible entre ses doctrines (du GODF) et celles de la Commune, et que si quelques hommes indignes du nom de Maçons ont pu tenter de transformer notre bannière pacifique en drapeau de guerre civile, le Grand Orient les répudie comme ayant manqué à leurs devoirs les plus sacrés."
La charge est forte et nous avons déjà relaté cet épisode, plusieurs fois, dans ces colonnes.
Il faut la replacer dans le contexte et prendre acte que 6 ans plus tard le débat sur l'obligation de croire en Dieu et en l'immortalité de l'Ame sera tranché dans le sens de la suppression de cette obligation. Cette décision institue le principe de "liberté absolue de conscience". Il annonce la mobilisation des esprits vers le grand débat national qui conduira à la loi du 9 décembre 1905. La majorité au sein du GODF évoluera donc dans ce sens au cours de ces 30 années.
L'analyse des évolutions de ces années nous livrera aussi quelques enseignements non négligeables. Ainsi pendant la période qui suit La Commune jusqu'à la première guerre.
Le GODF va privilégier l'idée de République et sa construction. La vie politique est animée par le parti de l'Ordre (catholique très conservateur, dit encore parti ultramontain sous entendu : du Vatican) alors que la gauche n'est constituée que de petits groupes séparés, souvent antagonistes ou d'alliances électorales (dans le meilleurs des cas). Un certain nombre de loges (un peu plus d'une centaine) va s'associer à la Ligue de l'Enseignement et à la Ligue des Droits de l'Homme pour créer en juin 1901 le parti républicain, radical et radical socialiste.
Le débat qui règne alors dans la société exprime la contradiction entre d'une part la construction de la République et d'autre part, le développement du mouvement socialiste autour de la stratégie dite "classe contre classe". La toute jeune Grande Loge de France, fondée en 1894 à partir de la GLSE, va accueillir ceux qui se reconnaissent "socialistes" alors que le GODF rassemble plutôt les "républicains et radicaux".
Devrait-on craindre de dire que la GLDF est alors "plus à gauche" que le GODF ?
Il faut aussi ajouter que le premier président (en 1901) de ce nouveau parti est Gustave Mesureur qui deviendra Grand Maître de la GLDF en 1903...
Ces épisodes marquent l'histoire de la Franc-Maçonnerie dans notre pays. C'est notre patrimoine commun qu'il vaut mieux connaître.
Restons calmes.
Faite d'évolutions, l'histoire de la maçonnerie est comme la vie, évolutive. Voilà pourquoi, et pour faire face aux tâches de l'heure, nous allons avoir besoin de nous retrouver sur l'essentiel.
Convergences obédientielles.
J'ai en mémoire comme la plupart de celles et ceux qui sont soucieux de rassembler, effectivement, ce qui est épars, le texte d'union maçonnique de février 2002, créant "La Maçonnerie Française". Ce fut une belle expérience, bien trop courte. Je propose dans L'Homme debout des éléments d'analyse.
Elle montre néanmoins une voie qu'il me semble indispensable de retrouver aujourd'hui. On ne refait pas le passé certes, mais on peut en retenir quelques leçons. Là encore, là où il y a une volonté, il y a un chemin.
La division maçonnique est souvent une réalité bien plus parisienne que provinciale. Dans les Orients de province, sauf quelques métropoles, les obédiences se réunissent souvent dans les mêmes locaux , les soeurs et les frères se côtoient bien plus régulièrement qu'à Paris. La maçonnerie s'y vit avec beaucoup plus de fraternité du fait de la mutualisation des moyens.
Ces pratiques inter obédientielles sont une base précieuse pour toute recherche de convergence entre les obédiences.
C'est pourquoi il me semble indispensable de rester calme et d'éviter de monter dans les tours pour de tels motifs.
Que voulez-vous, chez moi les verres, quels que soient les contenus, sont toujours à moitié pleins.
Gérard Contremoulin
_______________________________________________