Que sont nos valeurs devenues ?
Biberonnée à l'inéluctabilité du progrès, ma génération s'était engagée avec ferveur dans la bataille des années 70 où les valeurs d'émancipation humaine, de progrès (et nous étions façonnés à l'idée qu'il serait surtout social), se développeraient linéairement pour atteindre des niveaux élevés, irréversiblement.
Non seulement les lendemains -et c'est aujourd'hui- ne chantent pas, mais force est de constater qu'ils révèlent une réalité qui télescope nos habitudes de penser... La société, aujourd'hui, est en complet décalage avec celle que nous avions construit dans les années 70-90. La comparaison entre la situation que nous avons vécue et celle de nos enfants laisse le gout amer de la gueule de bois !
Et, facteur d'autant plus aggravant, ce constat ne débouche que sur les perspectives d'un radicalisation politique qui se pense reconquête du pouvoir par le peuple alors qu'il n'est qu'une des nombreuses étapes de la décomposition de ce modèle social et politique, à gauche comme à droite.
Une recomposition nécessaire.
Certes il y aura une perspective politique, mais elle est à reconstruire. L'essentiel de la période qui va la permettre n'est pas encore perceptible car les conditions de cette reconstruction ne sont pas réunies.
Il ne s'agira pas d'isoler tel ou tel courant de pensée mais à trouver leur dénominateur commun ; il ne s'agira pas d'énoncer des préalables ni de lancer des anathèmes mais d'affirmer que ce qui peut réunir est plus important que ce qui peut diviser.
C'est juste dire qu'il s'agit d'abord et avant tout d'une volonté politique. On saura que ce temps est venu lorsqu'il ne sera plus celui des grandes déclarations, mais au travail de retissage méticuleux du tissu militant de la gauche...
Diagnostics.
La société s'est désormais enfoncée dans le chômage de longue durée où le salarié perd sa dignité. On n'en est plus à découvrir qu'une économie parallèle, de moins en moins souterraine se met en place. On constate qu'elle règne dans les quartiers et offre aux fils le gain facile quand le père, le plus souvent chômeur, ne peut plus subvenir aux besoins de sa famille, perdant ainsi toute autorité. S'y est installé une société de non-droit qui s'est dotée de ses propres autorités, de ses propres lois, concurrentes de la société officielle...
Les glorieuses années de l'économie florissante des débuts de la V° République se sont confrontées aux chocs pétroliers des années 70 et 80 et aux processus de récession qui ont suivis.
La violence de la crise a renforcé les tendances centrifuges de la société. Elle a pulvérisé le tissu social et annihilé les effets des trois politiques publiques des années 1980 (fruit des trois rapports : Dubedout, politique de la ville ; Schwartz, insertion sociale et professionnelle des jeunes ; Bonnemaison, prévention de la délinquance). Certes, il s'agit de politiques anciennes, pensez-vous, elles datent d'il y a quarante ans. Mais on aurait tort de méconnaître leurs objectifs.
Ces politiques visaient à traiter la question sociale en mettant en avant les principes républicains, notamment d'égalité des droits et de traitement sur l'ensemble du territoire national.
Ces segments de la société, ces territoires où le droit républicain ne réussit plus à s'imposer, certains le nomment "l'apartheid social", terreau d'un islamisme de plus en plus offensif qui conquiert des parts de plus en plus importantes à mesure que recule le droit commun.
Laisser sous-traiter l'immigration par l'extrême droite.
L'alternance politique dite des "cohabitations" puis de changements d'orientation à partir des années 1990 a soumis la situation économique du pays aux aléas politiciens tout en laissant sous-traiter la question des travailleurs immigrés à l'extrême droite. On parlait alors de la "lepénisation des esprits". Les plus lucides, denrée rare à cette époque, y percevaient la confession d'un échec politique majeur...
En fait, cette situation délétère est le produit d'une appréciation inadaptée de la question de l'intégration des différentes et successives vagues d'immigration. Celles que l'industrie française (automobile et BTP notamment), du temps où elle était florissante, les organisait en faisant venir dans l'hexagone des populations qui leur servait de main d'oeuvre peu exigeante, voir la genèse du BUMIDOM mis en place par Michel Debré...
Les politiques publiques aujourd'hui sont totalement inadaptées, pire elles restent incapables de prendre en compte la réalité sociale, humaine, économique. C'est peu que de dire que cette situation désarçonne plus d'un gouvernement, plus d'un sociologue, plus d'un politique. Le philosophe n'est pas épargné. De Michel Onfray à Alain Finkelkraut, on cherche à comprendre les chemins qu'ils empruntent...
Préoccupante est la porosité avec l'école des élites ... républicaines !
Il faut se souvenir comment les pendules du 27 de la rue Saint Guillaume avaient subit une bien curieuse mise à l'heure !
Ben curieuse, oui, avec l'organisation d'un "Hijab Day" (et ici) à propos duquel Djémila Benhabib écrivit cette adresse à un étudiant de Sciences Po, dont voici la conclusion :
.../...
Ressaisis-toi, cher étudiant de science po. Sors de toi-même; ouvre les yeux; regarde autour de toi; réapproprie-toi la pensée; cultive-toi; lis; écoute ceux qui ont des expériences de résistance à te transmettre. Tu découvriras dans leurs mots le courage qu'il te manque pour devenir un homme libre. Tu puiseras dans leur silence la force de vivre debout. Tu trouveras dans leurs douleurs ce qui te manque pour tracer ton propre chemin vers toi-même et vers l'humanité. Tu verras, ton cœur se mettra à battre de nouveau pour la liberté. Car je veux continuer à penser, malgré tout, que tu es un homme en devenir.
Sois digne!
Aie le courage d'être une femme libre !
Les zélites en herbe qui se meuvent sous nos yeux se chauffent d'un bois qui n'est décidément pas le mien ! On aurait tort de banaliser ce type de phénomène. Il traduit un délitement de l'exigence républicaine léguée par Les Lumières. C'est ce que nous confie Djémila Benhabib.
Et les exemples de ces délitements s'accumulent...
Le GRECE est une officine qui constitue avec le Club de l'Horloge (auquel on doit notamment le concept de "préférence nationale" dès 1985), l'atelier idéologique de la stratégie de fusion de la droite avec l'extrême droite, sur les valeurs fondamentales de cette dernière. Et ce n'est pas le ripolinage de son nom en Carrefour de l'Horloge qui en modifie les axes d'orientations. Il suffit d'une petite visite sur les sites de ses fondateurs (par exemple ici) pour se faire une assez précise idée... Et Henri de Lesquen, son président, se risque parfois dans des plans com' plutôt effarants...
Et l'on pourrait reprendre, comme je le fais dans "l'Homme debout" (ici encore et là) différents exemples de manquements institutionnels qui font le jeu des anti Lumières.
On peut commencer par rappeler les manquements au respect de la neutralité de l'Etat commises par celui qui en est le garant institutionnel :
que ce soit Nicolas Sarkozy lorsqu'il ne craignait pas de se signer dans l'exercice de ses fonctions, soit comme ministre d'Etat, soit comme président, conduisant certains représentants de l'Etat ou des préfets, à l'imiter,
que ce soit François Hollande, lorsqu'après s'être engagé à constitutionnaliser les principes de la loi de 1905 (Conférence au GODF du 22 novembre 2011), il est allé de reculades en concessions sur les voies des accommodements raisonnables,
que ce soit Emmanuel Macron lorsqu'il privilégie les échanges inter religieux et ne se prononce pas sur la Laïcité sauf pour estimer que le lien entre l'église (catholique) et la République serait "abimé" alors que la loi de 1905 a clairement institué la Séparation entre les églises et l'Etat.
Non moins significatifs, certaines femmes en représentation de la France et notamment deux femmes l'une ministre, l'autre l'ayant été, avaient cru judicieux d'arborer ce signe distinctif lors d'un voyage au Maroc et en Iran.
C'est dans cette perspective que se profilent les élections européennes du printemps 2019. Et l'on assiste à une démission quasi généralisée des politiques français qui se complaisent à mesurer leurs différences en multipliant les listes, fragmentant ainsi les voix susceptibles de faire font contre ces nationalistes et ces populismes conquérants.
Coup de gueule !
Enfin, puisqu'il est question de République, de ses valeurs et des citoyens, voici un dessin qui résume assez fidèlement ce qu'il faut bien appeler un hold-up, une escroquerie intellectuelle... que nous avons vécu avec une grande désinvolture et une démission manifeste de notre de responsabilité ...collective !
Mais l'est-il encore vraiment ?
Gérard Contremoulin
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