HCI : Interdiction du foulard islamique à l’Université : Pourquoi fabriquer des « martyrs » ?
Philippe Bodhuin
…et si on appliquait la loi en vigueur ?
Le Haut Conseil à l’Intégration vient de publier un rapport sur les atteintes au principe de laïcité dans l’enseignement supérieur. Ces atteintes sont réelles et nombreuses : contestation de l’enseignement pour des raisons religieuses, demandes de locaux pour réunions à caractère cultuel, refus de travaux de groupes mixtes, installation, dans les locaux universitaires, de stands diffusant des brochures prosélytes, refus d’un examinateur en raison de son sexe, etc.
Ce rapport contient 12 préconisations, parmi lesquelles l’inscription dans le règlement intérieur de tous les établissements des obligations et interdictions liées au principe de laïcité (N°1), temps réservé à l’étude du principe de laïcité en licence (N°4), application effective du monopole d’état de collation des grades par les universités publiques (N°7), diffusion de la Charte de la laïcité dans les services publics dans les établissement publics d’enseignement supérieur (N°9), soumission des personnels et des locaux des CROUS au principe de laïcité, avec interdiction de dédier des lieux aux cultes ou de fournir de restauration de nature confessionnelle (N°12), etc.
Or, la presse, dans sa quasi-totalité, ne reprend dans ses reportages sur le sujet, que la proposition N°2, selon laquelle : « La mission Laïcité du HCI recommande qu'une mesure législative établisse que dans les salles de cours, lieux et situations d'enseignement et de recherche des établissements publics d'enseignement supérieur, les signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse soient interdits ».
Cette sélection est loin d’être innocente. On se rappelle les nombreux affrontements médiatiques sur le sujet lorsqu’il s’est agi de faire passer cette « disposition législative » concernant les lieux publics, et les régulières bubulles médiatiques générées par les réactions parfois violentes que provoquent les tentatives d’application de cette loi. On tient là un « bon sujet », coco !
On sait que, pour la presse en général, la polémique est l’alpha et l’oméga de la réflexion sociétale (ah ! le confort intellectuel de la pensée binaire !), et qu’en plus, les « signes ostensibles » en question ne peuvent concerner que les différents foulards et autres bâches dits « islamiques ». Non seulement il y a de la polémique dans l’air, mais la stigmatisation d’une communauté n’est pas loin.
Le choix unique de cette préconisation, et l’omission de toutes les autres traduit bien la manipulation « commerciale » classique de notre milieu médiatique soi-disant « libre ». Certes, il est tout-à-fait possible de se procurer le rapport complet, et de s’en taper la lecture complète (bon courage, mais ça vaut le coup !).
Pour ne pas être trop long, je livrerai simplement quelques réflexions personnelles (et partiales) en conclusion :
Pourquoi faire des martyrs en stigmatisant des comportements qui restent purement vestimentaires et qui, sauf dans des cas très rares, ne perturbent ni l’audition des intéressées, ni leur identification ? Si l’on connaît un peu la tendance à la contre dépendance des adolescents et au militantisme des étudiants, on se doute que l’interdiction du « voile » a suscité beaucoup plus de vocations « religieuses » qu’elle n’a fait progresser la laîcité.
Enfin, les 12 mesures préconisées n’étant jamais que des reformulations de lois existantes (loi SAVARY de 1984, loi de 2004, par exemple, mais aussi chartes et brochures de toutes sortes), comment voudrait-on nous faire croire que ces dispositions-là, une fois adoptées, seraient appliquées ?
A moins que, d’un seul coup, tous les responsables d’établissements trouvent le courage de faire respecter les dispositions existantes. Mais là, on est quasiment dans la science-fiction…
Alain disait « penser c’est dire non ». On pourrait ajouter : diriger, c’est aussi savoir dire non !
Philippe BODHUIN
__________________________________________________________________