Laïcité : la nécessité d'un bouclier constitutionnel
Par Denys Pouillard, Directeur de l'observatoire de la vie politique et parlementaire
Médiapart - 7 octobre 2010
Trop, c'est trop...
La seconde visite du président de la République au Vatican dépasse, cette fois, l'entendement. Le président est-il, même, encore dans la légalité constitutionnelle c'est-à-dire dans le respect de l'un de ses principes, celui de laïcité ?
En décembre 2007, lors de sa première visite, le discours du Latran et son « insulte » aux instituteurs
avait, avec raison, choqué mais le protocole, déjà accommodant, avait garanti un « jeu de rôle » où chacun conservait ses prérogatives sans toutefois pousser trop loin le curseur. Nous
sortions de la campagne électorale présidentielle...et le président s'en tenait, à l'époque, à échafauder des constructions intellectuelles aléatoires dans l'environnement des cultures et des
religions : la laïcité devait devenir positive, comme tant d'autres concepts que le discours de « rupture » de l'époque dictait.
Or, à dix-huit mois du prochain scrutin présidentiel, le président vient, sur la laïcité, brutalement de changer de
braquet. « Sa visite de la basilique Saint-Pierre de Rome, juste après son rendez-vous avec Benoît XVI, ne devrait pas passer inaperçue », écrit Jean-Marie Guénois dans le
Figaro du 5 octobre et d'ajouter « Non pour des paroles mais pour une prière » !
Et quelle prière...et dans quelle circonstance !
Jusqu'alors les présidents de la République française qui se sont rendus au Vatican n'ont jamais assisté à une
« messe pour la France » ou « une prière pour la France » de manière officielle et ostentatoire, transformant en acte public et acte d'Etat un geste qui ne relève que de la
vie privée. Les recherches ont conclu que seuls le général de Gaulle et Jacques Chirac avaient sollicité un « temps » personnel pour accomplir une démarche qui ne brouillait pas
le « code » de la laïcité : le général était allé prier à sa manière dans un lieu distinct du lieu traditionnel où se lit la « prière à la France » et Jacques Chirac
s'était rendu dans une paroisse éloignée des chapelles officielles.
En se livrant, au-delà du devoir de sa fonction, et au cours régulier d'une visite publique, à l'une des
codifications de la spiritualité, spécifiquement destinée à l'Etat dont il a la charge de gouvernance, le président accepte une tutelle que la République a une fois pour toutes gommer, voici plus
d'un siècle. C'est un acte de soumission et une ligne jaune de franchie...
Le président prend le risque, par cet « état d'exception », de ne plus être le président de tous les Français. Certes, ce n'est pas une nouveauté. Mais une « prière à la France » publique devant le chef de l'Etat et vraisemblablement de hauts fonctionnaires l'accompagnant, abaisse la nation au rang servile de fille soumise et non aînée d'une Eglise et d'une seule.
Cette laïcité n'est sûrement pas positive ; c'est la négation même de la laïcité, œuvre de tolérance et
d'acceptation de toutes les religions, de toutes les cultures et naturellement de tous ceux qui se situent hors d'un champ de spiritualité.
Un bouclier constitutionnel à inventer
La leçon de décembre 2007 et celle d'octobre 2010 doivent servir, à l'avenir, d'exposé des motifs pour une réflexion
approfondie sur le périmètre présidentiel de la laïcité.
Si le principe est acquis, les dérogations en sont devenues, hélas, la règle...L'art et la manière de gouverner du
président de la République, soufflés par des « malins » consiste à écorner, à peu près dans tous les domaines, les traditions, modes d'emploi, vade-mecum ou guide des usages, à peu de
frais ; c'est-à-dire en déclarant, par principe, toléré et donc susceptible de faisabilité, tout ce qui n'est pas spécifiquement interdit par un texte.
Convenons qu'il faudra bien borner, au titre d'un devoir de précaution nouveau, et dans des domaines précis comme la
laïcité ou certains comportements en matière de séparation des pouvoirs, les droits et obligations présidentiels et gouvernementaux. Une Constitution repensée, dans le cadre d'une alternance,
s'honorerait de conditions de garanties données au peuple français pour que le respect de toutes ses croyances, de toutes ses opinions soient préservées de toute déviance personnelle
assujettissant la République à des exhortations divines publiques.
Bien évidemment, le voyage de Rome, n'est pas innocent ; il s'inscrit dans une stratégie de reconquête d'un
électorat chahuté au cours de l'été. La « prière à la France » ostentatoire et l'acte public décomplexé est tout autant destinée à l'opinion qu'à la hiérarchie catholique. Une
hiérarchie qui, le 5 octobre, a clairement, par la cosignature du président de la Conférence des évêques, réaffirmé, dans le communiqué du Conseil d'églises chrétiennes en France, son inquiétude
face au projet de loi Besson.
De Rome, le président de la République veut signifier qu'en matière religieuse, il est aussi le chef et gardons nous
de trop d'emballement pour une caution papale estivale demeurée néanmoins ambigüe avec des propos à géométrie variable, et dans des circonstances particulières.
Denys Pouillard
Directeur de l'observatoire de la vie politique et parlementaire ; site www.vlvp.fr