Quand Michel Maffesoli se défend.
Michel Maffesoli vient de rédiger une "Lettre Ouverte" dont il m'a préalablement adressé une copie.
Quoiqu'il n'ait pas choisi le moyen dit du "droit de réponse", je crois néanmoins correct de publier ce texte.
Utile aussi parce que je considère que toute opinion mérite d'être connue et celle qu'il y exprime est donc tout á fait légitime á être publiée.
Logique, parce que c'est sur ce blog qu'il situe le point de départ du différend et les lecteurs de "Sous la Voûte étoilée" doivent pouvoir avoir connaissance de sa "réponse".
Enfin, parce que je considère que chacun doit pouvoir être juge des arguments employés et se faire sa propre idée.
Gérard contremoulin
Quelques amis et FF :. (pour les plus authentiques d’entre eux, c’est la même chose) m’ont informé de vos attaques visant ma personne et mon œuvre. Ne vous connaissant « ni des lèvres, ni des dents », j’ai été étonné de la hargne développée à mon encontre. Il faudrait avoir des compétences médicales, qui ne sont pas les miennes, pour vous demander, tel le brave docteur Knock : pourquoi « ça vous gratouille ou ça vous chatouille » tant ? Ou encore être un bon psychanalyste pour s’interroger sur ce qui vous « travaille » en profondeur et donc vous pousse à chercher un bouc émissaire ?
Je me contente de prendre quelque hauteur de vue en faisant cette « lettre ouverte » en trois points brefs : ma vie professionnelle, personnelle, maçonnique.
Par courtoisie fraternelle je vous l’envoie avant de la rendre publique.
« C’EST CLAIR MAINTENANT » ( blog du F :.Loa :. relayé par le site « Sous la Voûte étoilée »)
Ayant été, très souvent, l’objet de médisances haineuses, de franches calomnies ou, tout simplement, de rumeurs sans aucun fondement, j’ai pris l’habitude d’ignorer ou de relativiser ce qui était dit de moi ou de mes livres. J’ai fait mienne la formule stoïcienne, « ce sur quoi on ne peut rien, devient indifférent ». L’âge aidant, j’ai même, souvent, souri à ce qui me paraissait être une énergie dévoyée s’épuisant en onaniques fantasmes propres à des adolescents attardés.
Mais n’est-il pas étonnant que d’honorables F :.M :., ayant si j’ai bien compris occupé des fonctions représentatives dans l’ordre, se prêtent à de tels jeux puérils ? Où sont l’élévation de vues et l’esprit de modération qui, en principe, par principe, assurent la qualité de tout débat digne de ce nom en général et de tout honnête homme en particulier
Aussi, en vous priant de m’excuser si, parfois, je ne peux ne pas faire preuve d’une sévérité dédaigneuse vis à vis de l’à-peu-près caractérisant vos diatribes, je vais essayer de répondre avec sérénité aux commentaires et remarques pleines d’acrimonie. Remarques faites, est-il avoué, sans avoir lu le livre incriminé ! Ce qui est un comble pour des esprits libres. Je ne crois pas qu’un sous-titre suffise pour se faire une idée d’une analyse faite avec rigueur sur un problème d’actualité on ne peut plus délicat.
Les gens de ma date s’en souviennent. Elle est terrible cette phrase révélant une paresse chronique : je n’ai pas lu, je n’ai pas vu, mais j’ai entendu causé. En des termes plus soutenus, Einstein rappelait « qu’il est plus facile de désintégrer un atome que de détruire un préjugé. » Le préjugé étant, souvenons-nous en, l’expression de la fadeur édifiante des idées convenues.
Mais n’est-ce pas contre les idées courtes, qu’il faut, toujours, faire preuve d’une intelligence libre ? « Intelligere », c’est comprendre en unissant. En rassemblant ce qui est épars. C’est bien le cœur battant de la haute culture dont doit faire preuve l’hétérodoxie maçonnique : lutter contre la « doxa », la frileuse opinion, fût-elle savante.
Ainsi pour le F :. Loa :. (et pour le F :. Contre :. qui en assure le relai) le « triste personnage » que je suis s’est dévoilé. Il est même affirmé, « maintenant c’est clair. » Voilà bien ce qu’en rhétorique on appelle une antiphrase. J’ai souvent indiqué que cette expression était fréquemment employée par les jeunes gens lorsque, justement, leurs têtes étaient on ne peut plus embrumées et toutes confuses. Suit une « démonstration » (permettez moi les guillemets) xyloglossique. Plus simplement de la pure langue de bois. C’est-à-dire le patois propre aux bien-pensants, fait de ressassements et d’incantations propres à la routine de l’Establishment. Mais il est vrai que penser étant difficile , on se contente souvent de juger.
1 – Oui, « c’est clair », que sensible à ce que Max Weber nommait la « neutralité axiologique » je me suis employé , dans ma carrière universitaire, à ne faire état ni de mes convictions, ni de mes préjugés. Ce qui m’a conduit à développer une pensée ni normative, ni judicative. Démarche « compréhensive » qui, à l’encontre de toute attitude dogmatique ne propose que des analyses « discutables ». Il s’agit tout simplement, de donner à penser ; et pour ceux qui le désirent, en fonction de cette pensée, agir. Le tout fondé sur ce mixte fécond qu’est le bon sens et la droite raison réunis.
C’est ce qui m’a fait accepter la direction de travaux que la doxa universitaire considérait comme peu nobles, frivoles ou par trop sulfureux : recherches, en son temps, sur le Minitel rose, sur la musique techno, les rassemblements gothiques, les tribus technologiques, les boites échangistes etc.
C’est ainsi que, ce qui revient dans les critiques compulsives qui me sont faites, j’ai dirigé la thèse d’Élisabeth Teissier. Sait-on sur quoi ? Non pas sur l’astrologie. Mais sur l’ambivalence des médias vis à vis de celle-ci : attraction – répulsion. Je suis, en ce domaine comme en beaucoup d’autres, un mécréant, mais il me paraissait important que l’on puisse analyser l’attitude ambiguë que suscite l’ancestrale attirance pour l’influence des astres. Si c’était à refaire, je le referais.
Dans les années 80, ayant suscité des recherches sur un sujet qui n’était pas, alors, de mode : l’homosexualité, j’entends encore certains de mes collègues m’accusant de « faire rentrer l’homosexualité à la Sorbonne ». Pas moins ! Quelques années plus tard, les mêmes m’accusèrent de « faire rentrer l’astrologie… ». En fait, pour moi, un fait social peut devenir un fait sociologique. C’est tout. A ceux que l’effort de lire n’effraye pas trop, je renvoie à mon livre La Connaissance ordinaire (1985) où je me suis expliqué sur tout cela.
Dernière ( ?) attaque en date, celle suscitée par le canular de deux de mes anciens étudiants, visant la revue dont j’était le directeur. Canular «assez bien vu », note le F :.Contr :.
Voilà un « assez » bien savoureux . Il est, en effet, instructif de noter que ces jeunes gens, dans la promotion de leur parodie, parlent à mon propos de « complot maçonnique ». Ils sont d’ailleurs relayés par un site d’extrême droite antisémite et racialiste bien connu, qui ne manque jamais de critiquer, méchamment, le « Franc-maçon Maffesoli » que je suis . Tout se tient, et il est intéressant de noter que dans l’attitude inquisitrice les extrêmes se touchent. C’est chose connue.
2 – Oui, « c’est clair », non seulement maintenant, mais de longue date, j’ai appris concreto modo ce qu’était le polythéisme des valeurs qui est le fil directeur de tout mon travail.
Fils et petit-fils de mineurs de fond, de sangs mêlés (grand-père italien, grand-mère algérienne d’un côté, cévenols enracinés de l’autre), je suis le produit de la République. Après la réussite à l’examen d’entrée en sixième ( c’était en 1955), c’est grâce à diverses bourses que j’ai pu ,via le lycée Henri IV et l’université, faire les études qui me conduisirent à devenir en 1981, professeur à la Sorbonne. Ce qui n’empêche pas, bien au contraire, de montrer en quoi la Res Publica, peut se nourrir, s’enrichir des différences. C’est cela que je nomme « idéal communautaire.» Idéal en gestation qu’il faut apprécier à sa juste valeur et qui est, à mon avis, la seule manière d’éviter le « communautarisme » aux conséquences souvent perverses et parfois sanglantes.
Dans un essai précédent : « Le Trésor caché, lettre ouverte aux francs-maçons et à quelques autres » ( Ed Leo Scheer. 2014), j’avais montré en quoi le symbole de la mosaïque d’antique tradition pouvait nous aider à penser la forme nouvelle que prenait une république plurielle, ne se résumant pas aux incantations sur « valeurs républicaines » ou à une phraséologie bigote sur le laïcisme, mais bien enracinée dans l’acceptation, réelle, des différences.
Là encore, je persiste et signe. La France est étroite quand elle oublie, au nom d’un intégrisme laïc, que l’esprit de la laïcité, en son origine est pétri d’une substantielle tolérance. Puis-je rappeler qu’en érigeant une statue à Giordano Bruno, sur le Campo de Fiori, à Rome, face aux bureaux du Saint Office de triste mémoire ( et comme pour le narguer), les F :.M :. Italiens du XIX em siècle rappelaient que la « pluralité des mondes » avait toujours effrayée le dogmatisme intolérant.
Une telle peur reste d’actualité pour les « républicanistes » rigides ayant du mal à admettre que la « chose publique » peut être le fruit de la différence. Mais n’est-ce pas celle-ci que célébre , justement, la belle sentence de Saint Exupéry, inscrite dans les couloirs de la rue Cadet : « loin de m’appauvrir, mon frère, ta différence m’enrichit ».
J’ajoute que dans mon village cévenol, où Italiens, Espagnols, Polonais, Tchèques, Français se mêlaient avec bonheur, j’ai appris, quotidiennement, le vrai sens de la belle et prospective idée de la tolérance, cause et effet de l’uni-diversalisme postmoderne.
3 – « C’est clair », enfin, que ce non dogmatisme universitaire, enté sur l’esprit de tolérance de mon origine populaire, fut conforté par mon engagement maçonnique.
J’ai été initié au G :.O :., à Lyon, dans une loge composée pour partie de policiers, l’autre étant des anarchistes (je vous laisse deviner de quel côté j’étais !) C’était en 1972. C’est dire , dans la foulée des évènements de 1968, les discussions tout à la fois enflammées et respectueuses de l’autre, de l’altérité, qui animaient les tenues.
Là encore la tolérance faisait sens. J’y ai appris, en silence, la nécessité d’être un esprit libre. La nécessité non moins impérieuse, d’éviter l’absolutisme des opinions erronées ou douteuses. Toutes choses indignes d’un authentique franc-maçon. Car, c’est chose aisée à comprendre, l’orthodoxie fait fond sur la routine philosophique. L’hétérodoxie, quant à elle, est pétrie d’intranquillités. C’est ce qui fait sa noblesse.
En , provisoire, conclusion.
- Ce qui est « clair », c’est qu’à l’encontre de l’arrogance propre à un rationalisme ayant fait son temps, il faut mettre l’accent sur une raison sensible qui est mieux à même de rendre compte de l’entièreté de l’être individuel et collectif. C’est ainsi, que pour reprendre un terme de mon ami et F :., Marcel Bolle De Bal, on pourra saisir la « reliance » sociétale propre à la postmodernité en cours.
- Ce qui est « clair », c’est que contre la suffisance des sectateurs d’une République hors sol, penser la « res publica » plurielle est autrement plus réaliste. Ce qui n’est , en rien, faire l’apologie des sectes ou du « communautarisme », mais, bien au contraire, donner des élèments pour penser, justement, ce que je propose de nommer idéal communautaire.
- Ce qui est « clair » c’est qu’évitant la jactance de ceux qui parlent pour ne rien dire et qui restent figés sur le mythe désuet d’un progressisme dévastateur, la hauteur de vue de la « philosophie progressive » nous incite à plus d’humilité.
Voilà ce qu’est le bel et vrai humanisme : se purger de l’arrogance, de la suffisance et de la jactance !
C’est ainsi que, dans une authentique démarche initiatique le perpétuel apprenti qu’est tout un chacun pourra partager, avec ses FF la plénitude de la maîtrise et ce en reconnaissant la fécondité propre à la parole du silence .
C’est ainsi que l’initié devient un initiateur, c’est-à-dire quelqu’un capable d’accompagner ce qui est là. De faire ressortir ce qui est en attente d’être révélé à lui-même. N’est ce pas cela qui permet, en leurs diversités et dans l’absolu liberté de conscience, aux F.M de participer à la construction, toujours en devenir, du Temple de l’Humanité ?
Michel Maffesoli
7.1.2016
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